dimanche 30 novembre 2014

Neuro-éducation: la curiosité stimule la mémoire

"Je n'ai pas de don particulier, je suis juste passionnément curieux." (Albert Einstein).

Pour apprendre et mémoriser plus efficacement, un étudiant doit cultiver sa curiosité! Nathanaël LAURENT (1)
De nos jours, les neurosciences scrutent les moindres recoins de notre cerveau et tentent, expérience après expérience, d’en percer les mystères. Fut ainsi récemment portée sur les fonts baptismaux une discipline portant le nom de « neuro-éducation », dont les résultats devraient intéresser les éducateurs et mamans d’enfants en âge d’être scolarisés, du primaire au supérieur.
Que l’apprentissage gagne à la répétition, que le sommeil consolide les acquis d’une journée d’étude, ou que l’attention renforce les apprentissages, sont aujourd’hui des vérités étayées par la science. En s’appuyant sur les avancées de l’imagerie cérébrale (IRM, électroencéphalographie, tomographie, etc.), les neuroscientifiques montrent comment le cerveau intervient dans divers processus de notre vie mentale : pensée, conscience, émotions, empathie, calcul, lecture, etc.
S’agissant de notre faculté d’apprentissage, l’enjeu est important : il s’agit ni plus ni moins de distinguer parmi les techniques et conseils en tous genres que nous prodiguons à nos élèves et/ou enfants, ceux qui sont « réellement » efficaces.
Prenons l’exemple de la curiosité. Depuis Aristote, nous savons que cette faculté conduit à l’étonnement, origine de la philosophie. En suscitant un questionnement, l’intérêt conduit à la connaissance : apprendre à connaître une chose consiste à trouver des réponses aux questions que nous nous posons à son égard. Toute information est une réponse à une question préalable. Pour connaître, il faut donc commencer par être curieux !
Imaginons un professeur qui se présenterait pour la première fois à ses étudiants. Il déciderait de s’adresser à eux en ces termes : « Très chers étudiants, je vous souhaite la bienvenue. Je serai votre professeur de telle matière. Je vous pose la question suivante : que voulez-vous savoir sur cette matière ? Je vous écoute ». Silence garanti !
Pourtant, une étude parue récemment dans la revue Neuron montre que la curiosité facilite grandement l’apprentissage. Selon les chercheurs américains à l’origine de cette publication, lorsqu'une personne manifeste de la curiosité, son cerveau subit des modifications qui lui permettent d'apprendre plus aisément, mais aussi de retenir les informations mémorisées sur le long terme.
« Nos résultats pourraient avoir des implications considérables pour le public, en cela qu'ils révèlent comment une forme de motivation intrinsèque – la curiosité – affecte la mémoire », souligne Matthias J. Gruber de l'université de Californie à Davis, co-auteur de l’article. Et le chercheur de poursuivre en précisant que « ces résultats suggèrent des manières d'améliorer l'apprentissage à l'école et dans d'autres environnements. » (3).
Dans le cadre de cette expérience, les scientifiques ont interrogé les participants afin d’évaluer leur degré de curiosité. Ils leur ont posé un grand nombre de questions diverses, en attendant 14 secondes avant de leur dévoiler la bonne réponse. Durant ce délai, des images de visages dénués de lien avec la question ou la réponse étaient soumises aux sujets. Les participants passaient ensuite un examen d’IRM fonctionnelle (voir encadré), et se trouvaient soumis à une interrogation sur les questions posées précédemment et sur la reconnaissance des visages présentés. Les résultats montrent qu’en cas d’intérêt pour les matières abordées dans les questions, les participants mémorisent mieux les réponses aux questions, mais également les visages !
Matthias Gruber explique que « la curiosité met le cerveau dans un état d'éveil permettant d'apprendre et de retenir toutes sortes d'informations, tel un tourbillon qui aspire ce que vous êtes motivé à apprendre, mais aussi ce qu'il y a autour ». Ces découvertes confortent l’hypothèse selon laquelle la curiosité active la mémorisation d’informations suscitant l’intérêt, mais également d’informations incidentes, et ce par le biais de l’action d’un neuromédiateur spécifique, la dopamine, sur l’activité d’une structure cérébrale bien précise, l’hippocampe.
En conclusion, cette étude scientifique confirme ce que nous pressentions depuis bien longtemps : la curiosité active naturellement nos capacités d’apprentissage. Serait-ce une évidence ? Pas sûr ! Combien d’enseignants prennent-ils comme point de départ les centres d’intérêt des apprenants, aussi simples, naïfs et divers soient-ils ? 
À bien y réfléchir, une année scolaire ou académique devrait débuter et se terminer par un examen. En septembre, les étudiants questionneraient et mettraient leurs professeurs sur le grill de leur curiosité. Durant l’année, le prof s’attacherait à voir la matière en l’articulant concrètement aux intérêts de ses étudiants. Enfin l’année se conclurait par un examen visant à évaluer les connaissances acquises. Utopique ? Je vous laisse juger.
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L’IRM, c’est quoi ?
L'imagerie par résonance magnétique (IRM) est un examen radiologique, totalement indolore, qui fournit des images « en tranches » de l'organisme. Les images obtenues par résonance magnétique sont le résultat de l'interaction entre le magnétisme naturel du corps et celui de la machine pourvue de gros aimants. L’IRM fonctionnelle (IRMf) est utilisée pour l'étude du fonctionnement du cerveau. Elle consiste à enregistrer des variations locales du flux sanguin cérébral là où des zones sont stimulées. La localisation des zones cérébrales activées est permise grâce à l’aimantation de l’hémoglobine riche en fer et contenue dans les globules rouges du sang.

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(1) Article paru dans le N°65 du magazine M...Belgique (5-11 juin 2015, pp. 48-49). L'auteur remercie vivement  cette revue d'avoir accepté de publier ce texte, ainsi que Mr Drieu Godefridi pour avoir apporté de nombreuses et utiles suggestions et corrections.  
(2) Docteur en sciences biomédicales, Master en philosophie, Nathanaël Laurent enseigne dans le supérieur. Il est également responsable des formations en méthode de travail au sein de l’école d’accompagnement COGITO SAFS.
(3) Gruber et al., 2014, « States of Curiosity Modulate Hippocampus-Dependent Learning via the Dopaminergic Cirsuit », Neuron, 84, 1-11.

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